Communication complexe et pensée non binaire

 

Lors du volet “communication” de nos ateliers interculturels, nous plaisantons en disant que les Brésiliens ont 17 façons de dire « non » sans dire non : « Então », « talvez », « vamos ver », « quem sabe ? », « veja bem », « é uma, hein ? », « vou pensar », « a gente se fala », « é uma opção », « vamos marcar », « pode ser », « vamos ver », « depois a gente se fala », « amanhã a gente conversa », « se Deus quiser », « você que sabe », et notre préféré : « vou dar uma passada mais tarde ».

Malheureusement, les traductions littérales ne fourniront jamais toute la riche signification contextuelle et culturelle de ces mots et expressions.

 

Pour les non-portugais, toutes ces phrases contiennent des messages intentionnellement ambigus. Utilisées dans un contexte culturel brésilien, ces phrases ou expressions communiquent une improbabilité tout en maintenant des liens relationnels de manière réfléchie et en gardant les portes ouvertes. C’est tellement plus agréable d’entendre « sortons prendre un café un de ces jours » au lieu d’un « au revoir » dur ou un « merci pour votre temps ».

Peut-être plus important encore, ces phrases peuvent être utilisées pour exprimer un désir de se connecter, tout en reconnaissant simultanément une impossibilité logistique. Chaque Brésilien sait que lorsqu’il entend « vou dar uma passada mais tarde » (je passerai plus tard), cela signifie que la personne ne viendra pas. Mais en disant cette phrase, le locuteur exprime plusieurs messages : son intention d’être présent, l’importance qu’il donne à son interlocuteur, et le fait de laisser une petite fenêtre ouverte au cas où la circonstance ou l’humeur changerait entre le moment présent et le « plus tard », lui laissant quand même la possibilité de passer. Alors que les styles de communication complexes font des merveilles pour ceux qui comprennent le contexte culturel, cela laisse confus ou méfiants ceux qui ne sont pas familiers avec le sens tacite. Dans le monde des affaires, les non-brésiliens ou communicateurs linéaires pourraient interpréter cela par : « S’il ne peut même pas organiser un rendez-vous pour un café, comment puis-je compter sur lui pour réaliser un projet important ? »

 

Les styles de communication brésiliens sont si compliqués pour la plupart des étrangers que The Economist a même écrit un article sur le sujet.

Dans le domaine de la communication interculturelle, les styles de communication sont généralement présentés sur un spectre ; linéaire/direct/simple d’un côté vers circulaire/indirect/complexe de l’autre. Ces termes et spectres sont des outils utiles pour enseigner les bases de la communication et pour fournir des explications visuelles rapides pour différents comportements culturels. Par exemple, les communicateurs linéaires ont tendance à être plus à l’aise pour donner et recevoir des commentaires directs. A contrario, les communicateurs indirects donnent généralement la priorité aux mesures nécessaires pour « sauver la face », cherchant à maintenir les relations et à n’embarrasser personne ; ils comprennent la communication directe comme quelque chose de très agressif et impoli. Cependant, avec une compréhension interculturelle plus avancée, articulée par Milton Bennett il y a des décennies, nous en venons à comprendre que la culture, communiquée par le langage et les comportements non verbaux, agit directement sur notre perception de la réalité. En d’autres termes, les personnes de cultures différentes vivent le monde différemment. Nous opérons tous à partir de nos mentalités culturelles distinctes.

En général, les communicateurs directs ont tendance à être des penseurs plus dualistes et binaires. Cela vient de l’idée des Lumières occidentales de contrôler les choses par des comparaisons rationnelles du vrai et du faux, existant ou inexistant. Alors que les communicateurs indirects voient généralement le monde en termes plus holistiques et complexes. C’est un exercice extrêmement enrichissant pour les communicateurs directs de s’exercer à communiquer indirectement et vice-versa ; nous offrons d’ailleurs dans nos ateliers les outils pratiques pour développer cette compétence. Cependant, cela n’est pas suffisant ; développer l’intelligence culturelle consiste à comprendre comment la langue et la culture façonnent notre façon de penser et d’agir, au-delà des spectres binaires et du langage. C’est reconnaître que la communication unilingue limitera toujours, dans une certaine mesure, la créativité, car de nombreux concepts et idées ne peuvent pas être traduits. C’est reconnaître également les formes de communication éthérées et énergétiques comme étant des formes réelles et légitimes de connaissance. Il est profondément compréhensible que l’accès à de multiples intelligences culturelles prenne du temps. Cela nécessite de vivre plusieurs expériences inconfortables et inconnues dans lesquelles nous sommes capables de réfléchir et d’apprendre, afin de donner un sens et de continuer à assimiler les différences. Au lieu du vieux dicton « quand vous êtes à Rome, faites comme les Romains », nous encourageons plutôt : « quand vous êtes à Rome, apprenez autant que possible des Romains et devenez une meilleure personne ». Bien sûr, votre définition de « meilleure » sera culturellement relative.

 

Par Adrienne Sweetwater et Mariana Barros

Publié le 14 septembre 2020 sur Linkedin par Mariana Barros, Consultant interculturel et diversité, conférencier TEDx São Paulo